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Auditorium du bâtiment recherche de l’UPF (7h heure de Tahiti)

Océanie, modernité et mondialisation (R. Meltz)

Afin de cadrer les notions qui seront mobilisées tout au long de cette saison du séminaire Pasifika, Renaud Meltz s’emploie d’abord à définir la modernité comme une notion située dans l’espace et le temps : si l’on peut discuter de sa généalogie, le mot apparait dans l’Europe du XIXe siècle. La modernité relève d’une catégorie politique, mobilisant des valeurs liées à l’héritage des Lumières, et se situe dans un processus historique. Cette réflexivité la caractérise encore de nos jours et se manifeste dans les tâtonnements lexicaux et taxinomiques pour qualifier ses devenirs : post-modernité, modernité tardive, transmodérnité etc. La notion de modernité, depuis le siècle de sa naissance lexicale mais aussi avant, puisque la notion peut s’appliquer rétroactivement, repose également sur celle de progrès technique et scientifique, ce qui rapporte la modernité, via l’innovation et l’industrialisation, à la notion de mondialisation. Enfin, comme la modernité n’est pas seulement une situation historique mais une perception de cette situation et la croyance en la rationalité du sujet occidental moderne, on peut l’envisager comme un nouveau rapport au temps – mais s’agit-il d’un nouveau régime d’historicité ou d’un mythe (le progrès) comme un autre ?

Le mariage de la modernité et de la mondialisation pose la question de l’uniformisation du monde. La validité de la notion de modernité, dans ses avatars mondialisés, a suscité depuis une vingtaine d’années des propositions pour penser la « société mondiale » en tenant compte aussi bien de son caractère unificateur que de sa diversité : on parle notamment de « modernités multiples ». Le séminaire Pasifika, en posant la question de la modernité depuis le point de vue des îles du Pacifique, se confrontera à son envers, les refus de la modernité, tels qu’ils se manifestent chez les Occidentaux qu’ils y trouvent un refuge contre les crises de la modernité européenne, ou qu’ils y reconnaissent un modèle alternatif de modernité heureuse – mais c’est encore parler de la modernité depuis le point de vue occidental, alors que nous souhaitons opérer un décentrement géographique et temporel pour considérer la modernité vue des îles.

Tel est le cœur du projet de ce séminaire, qui n’est pas neuf : interroger non pas les effets de la modernité sur les périphéries, l’éventuelle résistance des marges à l’hégémonie matérielle et culturelle, mais la façon dont lesdites « périphéries » pensent et vivent la modernité sous l’effet de la mondialisation. Ce projet était déjà formulé par Sahlins dans un article programmatique de 1989, « Les cosmologies du capitalisme » : « Il va donc falloir examiner comment les peuples indigènes luttent pour intégrer leur expérience du système mondial dans un ensemble logiquement et ontologiquement plus englobant : leur propre système monde ».

Cette séance préliminaire, et les suivantes, seront l’occasion de reprendre les trois visages de la modernité, politique, technique, culturel, depuis le point de vue du Pacifique, qu’il s’agisse de revenir sur les contestations de la modernité politique ou ses reformulations, alors qu’elle a pris le visage de la colonisation, contradictoire avec le projet d’émancipation porté par la modernité occidentale ; de reconsidérer le rapport à la technique ; de penser la modernité comme une notion culturelle en tenant compte du « souci du passé » qui peut l’accompagner sans la nier.

Lecture en amont de la communication

Eric CONTE, Guillaume MOLLE et Serge TCHERKÉZOFF, “Ecrire une anthropologie historique des violences dans les rencontres entre Océaniens et Occidentaux”, À la Croisée des Vagues. Océaniens et Occidentaux : anthropologie historique de la violence (XVI^e-XIX^e siècles), Éditions de la MSH-P, 2022.

Pasifika : appellations, représentation et personnification morale de l’Océanie (S. Tcherkézoff)

On l’aura compris, après la présentation par Renaud Meltz, ce séminaire entend « interroger non pas les effets de la modernité sur les périphéries, l’éventuelle résistance des marges à l’hégémonie matérielle et culturelle, mais la façon dont les dites ‘périphéries’ pensent et vivent la modernité sous l’effet de la mondialisation ». C’est dans cette perspective que nous avons choisi l’intitulé de « Pasifika », car cette notion, souvent utilisée localement, mais parfois aussi critiquée, est née précisément de cette manière dont les populations locales se ont été confrontées à vivre la modernité sous l’effet de la mondialisation, en particulier l’immigration polynésienne en Nouvelle-Zélande.
Premier temps : le terme a voulu remplacer l’expression de « Pacific Islanders » venue du regard occidental et charriant une opposition entre ceux qui seraient originaires « des îles » et ceux enracinés sur la « terre du long nuage blanc » Aotearoa-NZ. Deuxième temps : certains rappellent aujourd’hui que la référence au « Pacifique », impliquée dans le terme Pasifika, demeure ainsi teintée de son origine occidentale. On cherche donc à la remplacer, en maintenant certes une même référence à la région Pacifique, mais en exprimant cette dernière dans les terminologies vernaculaires : Te Moana, Te Moana A Kiwa, etc. Bruno Saura (2022) l’a rappelé récemment dans son article fondamental sur ces questions : « Une appellation transnationale pour l’Océan Pacifique: Te moana nui a Kiwa (Nouvelle-Zélande) – Te moana nui a Hiva (Tahiti) ». De ce point de vue, l’appellation « Pasifika » pour ce séminaire signale à dessin cet entre-deux.
Dans cette première séance, nous allons voir de plus près ces évolutions terminologiques autour du mot « Pacifique », depuis le 19e siècle jusqu’à aujourd’hui.

Lecture en amont de la communication

Tanya Wendt Samu, « The ‘Pasifika Umbrella’ and quality teaching: Understanding and Responding to the diverses realities within », Waikato Journal of Education, 2015 (special issue 20th Anniversary) [pas de numéro]: 129-140.